samedi 29 novembre 2008

Lucidifier

Si ces prochaine lignes sont écrites à la troisième personne c'est que ça me semble adéquat, approprié. Je suis consciente que je me répète, mais permettez-moi encore: la vie va si vite. Il me faut m'ordonner des séances d'observation de ma vie pour ne pas oublier de la saisir, de l'immortaliser, de la lucidifier.

Savez-vous qu'il n'existe pas, du moins pas dans le Bescherelle ni dans le Petit Robert, de verbe dérivé de l'adjectif "lucide". Lucide: "Qui perçoit, comprend, et exprime les choses avec clarté et perspicacité". Je me demande pourquoi il n'existe pas de verbe. Au 21e siècle, ça n'arrive plus tout seul ça. Ça prend de la gestion, de la planification, des stratégies, et des post-évaluations. Merde, non, pardon. Ça c'est le dossier de mon prochain cours. Où en étais-je? Re-merde, je ne sais plus.

Lucidifier…

Tout cela commença par un souper-croisière organisé par le quotidien Le Devoir. Elle allait y représenter son Musée (en foi d'annonceur), et n'était pas toute d'enthousiasme à l'idée de se retrouver au milieu du fleuve – face à l'impossibilité d'user de la formule "acte de présence". Néanmoins. La possibilité d'une soirée offrant quelques belles surprises n'est jamais exclue. Par expérience.

Sur le quai, elle attend (im)patiement Chantal, la "account manager" de son agence de publicité.

"Fu**. C'est pas vrai, elle va pas me laisser seule sur cette prison flottante."

Embarquement. Merde. Elle sait que sans elle ne pourra pas se reposer de relations publiques avec quelques conversations (insipides) avec sa collaboratrice.

"Mousseux?"
"Oui, je vais en prendre deux, j'attends quelqu'un."
Igloo-igloo.

Le temps de boire quelques gorgés et de s'accoutumer à la berce du bateau, elle fait la rencontre d'une splendide jeune femme à la voix douce et posée. Celle-ci travaille en communication pour la JCCM, la Jeune Chambre de commerce de Montréal. Elles conversent un moment, profitant de plusieurs champs d'intérêt professionnels communs.

- "J'aimerais beaucoup t'inviter à participer à un projet d'événement mettant de l'avant les créateurs de JCCM. Tu devrais devenir membre!"
- "Hummm. Pour les petits déjeuners causerie, tu m'oublies, serrer des mains à 7:15 le matin est tout simplement inconcevable. Mais pour un projet spécial; appelle-moi!"

Quelques semaines plus tard, le vendredi à 16h; convocation à une première rencontre du comité organisateur de l'événement de la JCCM. Lundi 18h.

"Bien sur. Le soir où j'enseigne."

La fin de semaine offre peu d'espoir de repos. Une vingtaine d'heures de travail pour préparer son cours du lundi au programme. Elle respire profondément. Assise dans la voiture la menant dans la campagne de Saint-Pierre, elle lucidifie. Les semaines, les jours, les heures et les minutes qui viennent de passer. Les secondes qui passent pendant qu'elle réfléchit.

Dans la très grande maison ambre, le temps fait tranquillement son tic-tac. Tic tac. Son paternel en visite, lit sa montagne de journaux, sa chanteuse de belle-sœur fait la sieste à l'étage, son Mc regarde un film sur le divan de la véranda.

Elle, elle est à la cave. Devant le feu. Profitant autant de la chaleur du poêle que de celle d'avoir une maison remplie de ceux qu'on aime. Les plan marketing & stratégie créative passent mieux, se dit-elle.

En ouvrant les yeux, lundi matin, elle commence à penser à sa journée. "Un meeting ce matin. Ce midi, faut faire les photocopies pour le cours. En partant à 19h de la réunion, j'aurai le temps de finir de préparer mon cours avant 20h30. Oh Fu**. Don't think about it, just do it. Get up."

Contemplant sa nouvelle machine à expresso rouge vif qui coule doucement l'élixir, elle se répète qu'à 23 h ce soir, ce sera fini. Mais ce sera surtout accompli.



Arrivant au lieu de la rencontre, elle aperçoit la jeune directrice du comité, avec qui elle avait eu quelques échanges téléphoniques sympathiques;
-"Lili? Je savais que c'était toi! J'ai été une de tes étudiantes lors d'un voyage-mode à New-York!"

Puis elle rencontre un autre membre de l'équipe du comité, qui travaille aussi chez Urbania, magazine montréalais, very trendy, very urban. Rencontre qui fut, à défaut d'un meilleur mot pour le dire, productive. Le lendemain, suite à un coup de fil de sa part, elle lui avait trouvé une styliste en une heure pour un shoot le lendemain, et ce même lendemain, ils concluaient aussi la vente d'une page de publicité dans le magazine.

Elle respire profondément. Elle se retrouve le vendredi soir, dans une petite salle bondée de L'Assomption, à écouter et regarder le spectacle de sa chanteuse d'amie et belle-sœur. La main bien serrée dans celle de son amoureux.

Puis sur l'autoroute 40, vers le Cabaret du Musée Juste pour Rire, pour célébrer l'anniversaire de son nouveau collaborateur Urbanien. Patry elctro, jeune crowd; vodka soda svp. Elle se sent vieille devant cette très jeune vingtaine. Peut-être que ça l'amuse aussi.

Elle respire profondément. Devant sa fenêtre, elle regarde le temps, gris et mouillé de ce dimanche de novembre, elle lucidifie. Les semaines, les jours, les heures et les minutes qui viennent de passer. Les secondes qui passent pendant qu'elle y réfléchi.